L’observation indépendante des forêts (OIF) a joué un rôle important dans l’amélioration de la gouvernance forestière et dans la lutte contre l’exploitation forestière illégale au cours des 20 dernières années, en conduisant, par exemple, à l’annulation de titres forestiers illégaux et l’adoption de nouveaux arrêtés ministériels améliorant la gouvernance forestière. Alors que le concept d’OIF est apparu au Cambodge en 1999, c'est dans le bassin du Congo qu’il s’est développé au cours des 20 dernières années, soutenant la préservation du deuxième plus grand massif forestier tropical du monde. Alors que de nouveaux projets de réglementations sur les matières premières zéro déforestation offrent des possibilités d'étendre l'OIF au-delà du bois, il est essentiel de faire le bilan des 20 ans d’expérience de l'OIF dans le secteur du bois. Une nouvelle étude de WRI, Field Legality Advisory Group (FLAG) et Resource Extraction Monitoring (REM) a identifié les principaux défis auxquels sont confrontées les organisations pratiquant l'OIF dans le bassin du Congo et a proposé des recommandations afin d’améliorer l’efficacité de l’OIF dans la région. Voici nos quatre recommandations principales pour renforcer l’OIF dans le bassin du Congo avant d'étendre le modèle géographiquement et de le faire évoluer au-delà du bois.
Qu’est-ce qu’une organisation pratiquant l’OIF ?Les organisations pratiquant l’OIF sont généralement des organisations de la société civiles (OSC), qui ont pour mission d’évaluer la conformité de la gestion des forêts et des activités forestières aux normes législatives et réglementaires en vigueur dans le secteur forestier du pays. L’OIF a pour objectif d’initier des améliorations dans la gouvernance forestière qui conduisent à des avantages environnementaux et sociaux à travers des activités de suivi. Concrètement, les organisations pratiquant l’OIF analysent la documentation officielle et visitent les forêts pour détecter, signaler et mettre en évidence les éventuels problèmes. Elles mettent l’accent sur les activités d'exploitation forestière menées par le secteur privé dans les forêts appartenant au gouvernement, sur l'application de la loi par les agences gouvernementales locales et sur les questions de gouvernance forestière en général. Sur la base des faits relevés, les observateurs rédigent des rapports qui sont ensuite communiqués au gouvernement. En outre, les organisations pratiquant l’OIF proposent des recommandations pour améliorer l'application de la loi. Elles assurent également le suivi des mesures prises par le gouvernement à la suite de ces recommandations.Figure 1: Activités réalisées par les organisations pratiquant l’OIF |
1. Investir dans des systèmes de contrôle et d'assurance qualité
La crédibilité des organisations pratiquant l’OIF dépend de la qualité de leurs rapports. Par conséquent, les organisations pratiquant l’OIF doivent investir dans des systèmes de contrôle et d'assurance qualité, et les bailleurs doivent inclure plus systématiquement des exigences de qualité dans les subventions de l’OIF.
De plus, la nécessité de normaliser les données de l’OIF s'accroît à mesure que le nombre d'OSC impliquées dans l'OIF augmente. Les données provenant de différentes organisations doivent être combinées et analysées pour identifier les tendances nationales et régionales de l'exploitation forestière illégale. Il est par conséquent nécessaire que les organisations pratiquant l’OIF dans la même région adoptent les mêmes standards de qualité. Une communication et un partage d'expérience accrus entre les organisations pratiquant l’OIF, au travers de plateformes telles que la Plateforme africaine d'observation indépendante (PA-OI), contribueraient à améliorer la coordination et la normalisation de l'OIF, tout en favorisant un meilleur partage des informations pour lutter contre les infractions transnationales. La standardisation permettra aussi d’effectuer un suivi des activités de l’OIF au niveau régional et de la gouvernance forestière plus globalement, et donnera ainsi aux organisations pratiquant l’OIF, aux gouvernements des pays producteurs et aux partenaires techniques et financiers la possibilité d'évaluer l'évolution de la conformité et de l'application des lois dans la région, et d'adapter leurs stratégies en conséquence.
Plusieurs initiatives ont vu le jour récemment et peuvent être adoptées par la communauté de pratique de l’OIF afin de favoriser la normalisation et l'amélioration de la qualité des données de l’OIF, comme le SNOIE au Cameroun qui est certifié ISO 9001. En outre, l’Open Timber Portal propose des formulaires normalisés de saisie de données et des processus de contrôle de qualité pour les données de l’OIF téléchargées sur le portail. De plus, les organisations FLAG, FODER et l’Observatoire de la Gouvernance Forestière (OGF) ont développé des outils de contrôle de qualité pour examiner les rapports de l’OIF. Leurs outils peuvent être utilisés en interne et sur les rapports rédigés par leurs collègues des autres organisations pratiquant l'OIF.
2. Institutionnaliser l'OIF en l'incorporant dans les lois nationales et les réglementations internationales relatives à l'offre et à la demande
L’évolution de l’OIF dans le bassin du Congo a été amplifié par les accords de partenariat volontaires (APV FLEGT). Ces accords juridiquement contraignants sur le commerce du bois, signés entre l’Union européenne (UE) et certains pays producteurs, contiennent des dispositions permettant à la société civile de jouer un rôle dans le suivi de la mise en œuvre de l'accord. Les APV FLEGT ont même conduit les gouvernements de certains pays producteurs à reconnaître le rôle de l'OIF dans leurs lois. Par exemple, la nouvelle loi forestière adoptée par la République du Congo en juillet 2020 mentionne explicitement l'OIF dans son article 69 :
Un observateur indépendant, issu des organisations de la société civile nationale et reconnu par le Gouvernement, effectue seul des missions indépendantes de terrain ou conjointement avec les agents de l'administration forestière. Il produit régulièrement des rapports et des recommandations sur le respect de la législation forestière » (République du Congo 2020)
Nous recommandons aux décideurs politiques d’inclure un rôle officiel pour les organisations pratiquant l’OIF dans les lois nationales, ainsi que dans les réglementations internationales relatives à l'offre et à la demande, telles que les réglementations sur les matières premières zéro déforestation de l’Union européenne, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Les partenaires techniques et financiers devraient encourager les décideurs politiques à adopter de telles réformes.
3. Améliorer le modèle de financement et le rapport coût-efficacité
Les organisations pratiquant l’OIF sont généralement financées à travers des projets de courte durée, créant ainsi une insécurité financière et entravant leur capacité à pérenniser leurs équipes et développer et mettre en œuvre des stratégies sur le long terme. Les bailleurs devraient envisager d'investir dans des partenariats à plus long terme avec les organisations pratiquant l’OIF à l'instar de l'approche adoptée en Indonésie, soit individuellement ou par le biais de plateformes telles que la PA-OI. Les bailleurs pourraient également réduire le temps consacré par les organisations pratiquant l’OIF à la collecte de fonds et à l'établissement de rapports en coordonnant leurs stratégies et en adoptant la même approche de financement à l'aide du même mécanisme de financement.
Par ailleurs, les organisations pratiquant l’OIF devraient mettre en place des réseaux infranationaux de l’OIF afin d’améliorer leur rapport coût-efficacité. En effet, le modèle d'une organisation nationale unique basée dans la capitale et effectuant des missions d’OIF dans différentes régions engendre des coûts plus élevés qu'une approche décentralisée. Par exemple, une mission en RDC effectuée par l'organisation OGF basée à Kinshasa coûte environ 20 000 USD. Afin d’améliorer le rapport coût-efficacité, OGF a initié le développement du RENOI (Réseau National des Observateurs Indépendants en RDC), un réseau d'organisations provinciales d'OIF. Ainsi, lorsque les experts d'OGF détectent des problèmes dans une province éloignée, ils peuvent contacter l'organisation responsable de l'OIF la plus proche pour lancer une enquête, réduisant ainsi le coût d’une mission.
De plus, des outils et ressources peuvent contribuer à améliorer le rapport coût-efficacité de l’OI. Par exemple, les technologies de télédétection fournissent désormais des informations en temps quasi réel et sont disponibles gratuitement sur les smartphones via des applications telles que Forest Watcher, ForestLink et FLEGT Watch. Ces outils permettent aux organisations pratiquant l’OIF de programmer des missions dès qu'un événement majeur de déforestation est détecté. D'autres technologies comme les drones peuvent aussi soutenir les missions sur le terrain. En outre, les technologies émergentes comme l'identification du bois pourraient à l'avenir être utilisées pour étayer les enquêtes sur les chaînes d'approvisionnement. Les organisations pratiquant l’OIF doivent être formées aux technologies disponibles et à la manière de sélectionner de façon ciblée la technologie et les sources de données appropriées pour répondre à des questions spécifiques.
4. Rendre les données de l’OIF plus utilisables pour la mise en œuvre et l’application des mesures axées sur la demande dans les pays consommateurs
Enfin, le meilleur atout pour garantir que les organisations pratiquant l’OIF jouent un rôle dans la mise en œuvre des futures réglementations sur les matières premières est d'accroître l'utilisation des données de l’OIF dans la mise en œuvre des réglementations actuelles. Par conséquent, de nouvelles formes de renforcement des capacités, par le biais d'un accompagnement continu et de visites sur le terrain, sont urgemment nécessaires pour former davantage les organisations à la production de données de l’OIF plus exploitables pour l'application des réglementations relatives à la demande. Par ailleurs, les partenaires techniques et financiers, les ONG internationales et les organisations pratiquant l’OIF doivent également travailler plus étroitement avec les importateurs et les organismes chargés de l'application des lois dans les pays consommateurs afin d'intégrer officiellement les données de l’OIF comme source d'information dans les processus de diligence raisonnée.
L'OIF met principalement l’accent sur les visites de terrain, tandis que les politiques axées sur la demande, telles que la loi américaine amendée Lacey Act et les règlements bois de l‘UE et du Royaume-Uni, exigent également des importateurs une analyse documentaire. En mettant davantage l'accent sur la documentation officielle de conformité en plus du travail sur le terrain, les données de l’OIF seraient plus attrayantes pour les importateurs. Les organisations pratiquant l’OIF devraient ainsi faire davantage d’analyses de documents et produire plus d'observations sur la validité des documents officiels en se basant, par exemple, sur les documents disponibles sur l'OTP. Les analyses documentaires produisent non seulement des observations facilement applicables aux évaluations de risques pour la diligence raisonnée, mais elles augmentent également l'efficacité de l'OIF car elles aident les organisations à mieux cibler leurs missions d’OIF sur le terrain. En outre, les organisations pratiquant l’OIF doivent s’assurer que les observations sont accessibles à un public international en traduisant leur rapport et/ou en téléchargeant les observations qu’elles ont recueillies sur l’Open Timber Portal, qui est disponible en anglais, français, chinois, japonais, coréen et vietnamien.
Par ailleurs, les organisations pratiquant l’OIF devraient développer des partenariats avec les fédérations de commerce du bois et les autorités compétentes chargées de faire appliquer les mesures axées sur la demande. Les importateurs doivent être formés pour savoir où trouver les données de l’OIF et comment les utiliser dans leurs systèmes de diligence raisonnée. En outre, les partenaires techniques et financiers pourraient investir dans le développement d'une communication plus directe entre les importateurs et les organisations pratiquant l’OIF. Par exemple, les organisations pratiquant l’OIF pourraient également aider à former les importateurs sur la manière d'évaluer la validité des documents de conformité fournis par les producteurs de bois pour des pays spécifiques.
Globalement, nous pensons que l’OIF a un rôle majeur à jouer à la fois dans l’amélioration de la gouvernance forestière dans le bassin du Congo et au-delà, et dans la mise en œuvre des projets de réglementations sur les matières premières zéro déforestation qui sont en cours d'élaboration. Nous recommandons aux organisations pratiquant l’OIF et aux partenaires techniques et financiers de continuer à travailler ensemble, avec d'autres parties prenantes, pour continuer à améliorer l'OIF. Que l'OIF mette l’accent sur le bois ou sur d'autres matières premières, qu'elle ait lieu dans le bassin du Congo ou dans toute autre région, la standardisation des données de l’OIF par l'adoption de normes de qualité, le développement d'une communauté de pratique de l’OIF et l'établissement de réseaux de l’OIF infranationaux sont indispensables. Le développement de solutions de financement à long terme liées à une approche rationalisée de suivi et évaluation est nécessaire pour l'OIF dans le bassin du Congo aujourd'hui et sera tout aussi important lorsque l'OIF s'étendra à d'autres régions et à d’autres matières premières. Enfin, le meilleur atout pour garantir que les organisations pratiquant l’OIF jouent un rôle dans la mise en œuvre des futures réglementations sur les matières premières est d'accroître l'utilisation des données de l’OIF dans la mise en œuvre des réglementations actuelles. Par conséquent, de nouvelles formes de renforcement des capacités, par le biais d'un accompagnement continu et de visites sur le terrain, sont urgemment nécessaires pour former davantage les organisations à la production de données de l’OIF plus exploitables pour l'application des réglementations relatives à la demande. Par ailleurs, les partenaires techniques et financiers, les ONG internationales et les organisations pratiquant l’OIF doivent également travailler plus étroitement avec les importateurs et les organismes chargés de l'application des lois dans les pays consommateurs afin d'intégrer officiellement les données de l’OIF comme source d'information dans les processus de diligence raisonnée.
Photo : FLAG